Professionnalisation des arts visuels : 3 fois Waou (relativement)

Art Boulot - Professionnalisation des arts visuels

Je racontais ici que mon attention à l’actualité institutionnelle de l’art s’est accrue récemment, face à la professionnalisation des arts visuels.

Mais qu’est-ce que ça veut dire, que le secteur « se professionnalise » ?

On va parler ici de quelques indices* : des initiatives à l’échelle nationale, ou presque, qui touchent aux conditions d’exercice des professionnel·les de l’art.

Voici donc 3 trucs qui m’ont fait penser « Hey mais il se passe un truc ou c’est juste moi ? ».

Alors d’abord, un disclaimer : je parle d’un ensemble de choses qui sont passées dans mon radar. À ma connaissance, personne n’a encore sorti d’étude exhaustive sur ce que la fin de la décennie 2010 a apporté aux professionnel·les de l’art — je suis à l’écoute si c’est le cas.

 

Disclaimer 2 : on parle ici du passé récent du secteur plus que de son actu, mais je n’avais pas envie de faire une catégorie spéciale.

 

*On peut parler de faisceau d’indices, si on aime bien les enquêtes policières.

[2017] : Le label « Centre d'art contemporain d'intérêt national »

Quand j’étais salariée d’un centre d’art contemporain, j’ai beaucoup, beaucoup, énormément entendu parler du « label centre d’art ».

Label centres d'art contemporain d'intérêt national

Émetteur : le ministère de la Culture

Cette précieuse étiquette sert à distinguer, à un niveau national, les structures qui méritent un peu plus l’attention de l’État. L’attention de l’État, elle se traduit beaucoup en financements : les enjeux sont donc assez élevés.

Pour info, des structures telles que les musées ou les salles de spectacles ont leurs labels depuis fort longtemps. En 2016, quand l’idée d’un label est entrée dans nos vies, mes collègues et moi on s’est dit « Hey, cool ! On s’intéresse à nous. C’est sympa, non ? ».

Le ministère de la Culture résume le label ainsi :

Depuis début 2018, cette distinction progressivement attribuée à certains centres d’art témoigne du soutien et de la reconnaissance de l’État pour leur engagement dans le champ des arts visuels, leur soutien à la scène artistique et leur action envers les publics les plus larges. Ce label est très adapté à la diversité des structures et des projets. Protecteur de la liberté de création, de la liberté de programmation artistique et de l’autonomie des directions, il garantit l’accompagnement de l’État aux structures portant un projet artistique et culturel d’intérêt général en faveur du soutien à la création, à la production et à la diffusion dans le domaine des arts visuels.

Professionnalisation des arts visuels : en quoi ?

Dans ce résumé, on dirait que les missions et obligations des centres d’art se concentrent sur les artistes d’une part, les publics d’autre part.

 

Il y a un autre point qui m’a semblé fondamental, même si les gentes du Ministère n’ont pas l’air d’y attribuer une telle importance.

 

Le cahier des charges (accessible ici) comporte une partie « Gouvernance, projet artistique et culturel, moyens humains et matériels ».

 

On peut y lire, entre autres :

  • « Il [le centre d’art contemporain d’intérêt national] veille à respecter l’égalité femme-homme* dans ses instances de gestion (CA et comité de suivi) ainsi que dans sa programmation. »
  • « [Il] veille à la professionnalisation de son équipe et à la mise en place d’un programme de formation continue. »
Tiens, on ébauche le sujet des équipes des centres d’art dans un texte officiel.
De chercheuse à créatrice de contenu
Moi, en mon for intérieur

*Les textes officiels sont encore et toujours rédigés à l’ancienne : binarité de genre et accords pluriels au masculin.

Ça pique les yeux, pardon.

[2019] La Charte des bonnes pratiques des centres d'art contemporain

Au printemps 2019, je suis encore persuadée que je vais continuer tranquille mon freelancing pour des centres d’art contemporain.

C’est donc avec assez de bonheur, tout d’abord, que j’entends parler d’une charte de bonnes pratiques.

Émetteur : le réseau DCA

DCA, réseau de centres d’art contemporain, rassemble une cinquantaine de structures réparties sur l’ensemble du territoire hexagonal*.

De statut associatif, le réseau est un des interlocuteurs du Ministère pour ce qui concerne les centres d’art (par exemple : les discussions sur le label).

Pour résumer, il agit pour la visibilisation des centres d’art, ainsi que la professionnalisation et la formation de leurs équipes.

*et non pas national : il n’y a pas de membre situé outre-mer.

La charte des bonnes pratiques des centres d'art contemporain

La charte (accessible ici) sort donc en avril 2019.

C’est un court document, qui comporte deux parties :

  • la charte en elle-même
  • et une grille de préconisations de rémunération des artistes et auteur·rices.

La charte des bonnes pratiques des centres d'art contemporain

La charte des bonnes pratiques des centres d’art contemporain reprend les grands principes du label « Centre d’art contemporain d’intérêt national » :

 

  • les missions des centres d’art auprès des artistes et des publics,
  • leur responsabilité sociale vis-à-vis de leurs équipes,
  • et leur impact environnemental.
Pourquoi une charte, alors qu’un texte proprement normatif existe ?
Pensez-vous peut-être, à fort juste titre

Le label existe depuis peu, et le processus de labellisation est lent : il implique des dossiers, du texte, des documents attestant de trucs, des navettes de relectures et de signatures entre les centres d’art, leurs tutelles et le Ministère, des commissions et des décisions diverses.

Toutes les structures membres de DCA, même si elles se définissent comme centres d’art, ne sont donc pas encore labellisées — voire ne le seront pas du tout.

Professionnalisation des arts visuels : en quoi ?

Outre la responsabilité vis-à-vis des artistes, c’est le paragraphe sur les équipes des centres d’art qui m’intéresse.

Le vocabulaire envoie du rêve :

(…) chaque centre d’art contemporain engage une éthique de l’attention à l’autre dans ses pratiques d’organisation et de gestion des équipes. Il s’engage également dans la valorisation et la reconnaissance de la spécificité des métiers des centres d’art contemporain, ainsi qu’à accompagner les équipes dans le développement de leurs compétences et de leurs acquis professionnels.

Insuffler des principes de respect au sein des équipes ? En matière de professionnalisation du secteur, on n’est pas mal.

La grille de la discorde : les rémunérations préconisées

La seconde partie est un tableau de chiffres : des recommandations minimum de rémunération des artistes, auteur·rices, intervenant·es divers dans la programmation des centres d’art.

C’est une super idée, dans un monde où règne le travail tacitement gratuit, de souffler quelques reco de rémunération. Vraiment, super idée.

Le problème est que ces tarifs sont hyper bas. C’est ce qu’on souligné plusieurs associations d’auteur·rices et d’artistes quand cette charte est sortie. À qui on a répondu que ces minimums constituaient déjà une marge de progression pour certaines structures…

C’est triste à dire mais de nombreuses structures partaient d’encore plus bas, en terme de rémunération… mais on peut dire que ça bouge de ce côté aussi.

[2019] Le SODAVI Île-de-France

Là encore j’en ai entendu parler bien avant de les voir arriver dans ma région.

Le Soda quoi ?

Les SODAVI ou « Schémas d’orientation pour les arts visuels ».

Il y a un SODAVI par région.

On peut choisir d’en parler au pluriel si on veut parler de tous, mais je vais me concentrer sur celui de l’Île-de-France, donc j’en parle au singulier.

Et puis je vais laisser tomber le total caps, ça fait mal aux yeux.

Défini par le ministère de la Culture comme un « outil de construction conjointe des politiques publiques en faveur des arts visuels », le Sodavi est d’abord un vaste état des lieux de la situation du secteur.

À terme, l’idée est (supposément) de réorienter les politiques culturelles en fonction de la réalité du terrain… mais on n’en est pas encore là.

La restitution de la phase 1

Pilotée par Tram, réseau francilien de structures d’art contemporain, la première phase du Sodavi Île-de-France a été confiée à l’agence amac.

Cette phase d’état des lieux a été rendue publique lors d’une restitution officielle en novembre 2019.

SODAVI Île-de-France

Lors de cette restitution, j’ai été marquée par le fait que les artistes étaient présent·es dans les enjeux du Sodavi pour leur situation économique.

On ne parlait plus (seulement) de la valeur symbolique de leurs créations.

Parmi les instances et personnes consultées pour l’état des lieux figure le collectif La Buse, collectif de travailleur·ses de l’art.

En ce soir de novembre 2019, Émilie Moutsis, membre du collectif et artiste plasticienne, prend la parole. Elle aborde assez frontalement la situation pragmatique des artistes.

(…) être artiste professionnel·le affilié·e à la Maison des artistes et vivant en Île-de-France aujourd’hui, cela veut dire ne pas avoir la possibilité de louer facilement un logement, avoir des difficultés à trouver un atelier, devoir cumuler les petits boulots pour s’en sortir financièrement…

Cet événement a lieu fin novembre 2019, à la veille d’une grosse mobilisation contre les retraites qui verra la naissance du collectif Art en grève et d’autres initiatives militantes…

Ça fera l’objet d’un prochain article !

 

Depuis, une phase 2 a eu lieu, et une phase 3 semble en cours de route… à suivre donc.

Affaire à suivre sur Art Boulot

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