Les petites mains des femmes dans l'art

Les petites mains et le gros cerveau des femmes

Quel est le rapport entre un couple hétéro, le capitalisme, une équipe de centre d’art, la carrière de Charlie Chaplin et la postérité de Wassily Kandinsky ? Tous ces trucs reposent sur un donné gratuit et invisible : le travail reproductif effectué par les femmes et libérant les hommes de bien des tracas. Pour en comprendre les mécanismes, je t’emmène dans une balade à travers quelques lectures sur le sujet. On va y rencontrer une pelletée d’exemples concrets pour débunker l’invisibilisation systématique du travail reproductif dans des contextes divers.

Je dois beaucoup à Laurie Hagimont pour l’idée de cet article. Elle a mené une enquête sur et auprès des chargées de diffusion dans le spectacle vivant, révélant « la domesticité des emplois administratifs » — c’est le titre de son mémoire, je t’en reparle plus bas.

Qu’est-ce que j’aurais aimé voir une telle étude réalisée dans les centres d’art contemporain!

C’est simple : à vue de nez, les équipes des centres d’art sont composées en majorité de femmes. Toujours à vue de nez, les chargées de production, de médiation, d’administration, bref une grande partie des fonctions supports (sauf celles qui ont trait à la technique “pure”) à l’art sont, à leur tour, réalisées en majorité par des femmes.

À défaut de réaliser cette enquête sur le terrain, je me suis mis en tête de l’expliquer. Cela faisait trop de connexions avec mes lectures antérieures pour garder ça pour moi.

Voici donc une tentative de schéma sur la foule de femmes aux fonctions invisibles dans les centres d’art contemporain, vue à travers mes lectures. Il y a des références assez généralistes, des trucs sur le monde de l’art en particulier, et des trucs sur des secteurs autres. Il y a toutes sortes de sources, des rapports officiels, des tables rondes confidentielles, des BD qui parlent de littérature et de cinéma…

Les numéros entre parenthèses renvoient à la liste des références en fin d’article ; dans les citations, les soulignements sont de moi.

Enjoy !

Voyage dans mes lectures

Le travail au sens large et sa division genrée

Le travail reproductif, de la vie domestique à la vie sociale

Le travail reproductif

En matière de travail des femmes, Silvia Federici (source 1) est un peu une référence. Elle est citée tellement souvent que je n’ai lu que récemment sa prose, pour écrire cet article.

Le travail reproductif, c’est le travail ménager, domestique, logistique, réalisé par les femmes au sein du couple hétéro. C’est un support indispensable au capitalisme, et indispensablement gratuit :

Certes, il est maintenant communément admis que le travail reproductif inclut le travail domestique, de la procréation et de soin (care). Il convient toutefois de réaffirmer le constat établi par plusieurs d’entre nous dans les années 1970 : lorsque nous parlons de “reproduction”, nous ne parlons pas seulement d’activités qui reproduisent nos vies, mais d’activités essentielles à la reproduction de la main-d’œuvre et au processus d’accumulation capitaliste. (…)
Les véritables bénéficiaires ne sont pas nos familles, mais les capitalistes qui ont économisé des milliards de dollars grâce au travail non rémunéré effectué par des générations de femmes.
[Silvia Federici]

(Astuce recherche quand on a peur de pas bien piger la pensée de quelqu’un·e : chercher des entretiens ou des interventions en table ronde)

les meufs dans les couples hétéros, supports vitaux du capitalisme

"En tant que femme je sens que je dois tout maîtriser"

Aux réflexions de Silvia Federici, un article d’Andrée Ospina semblait résonner de manière très poétique : « Secrétaires mes sœurs, secrétaire ta mère » (source 2).

Quand je suis tombée dessus, je n’ai d’abord pas compris comment le prendre : il était publié dans un carnet Hypothèses (plateforme de partage de recherches académiques) mais son illustration et son ton m’ont paru très rythmés, scandés et presque trop musicaux pour un article de recherche.

Andrée Ospina y raconte les mille et une tâches que réalisent les femmes pour soutenir, structurellement, la vie quotidienne — la leur, et celle des autres, des non-femmes :

Je ne sais pas depuis quand, depuis toujours peut-être, je me sens secrétaire. Je me sens comme ces femmes de tous temps, secrétaires mais aussi dactylographes, bibliothécaires, calculatrices, documentalistes, archivistes, assistantes, téléphonistes, comptables, retranscriptrices, calculatrices, toutes celles qui notent, compilent, trient, classent. Celles qui rendent service par la machine. Celles qui pianotent, répètent et mémorisent comme des machines. Ces femmes dont le cerveau traite et ordonne les données des autres, puis mettent à disposition ces informations ou ces documents, dont elles ont parfois pris soin comme s’ils sortaient de leur ventre. [Andrée Ospina]

Ce texte m’a frappée car il touche à ce qui a longtemps été mon rêve de carrière : devenir secrétaire. Le bureau de la secrétaire du cabinet d’orthodontie où j’ai passé des heures dans mon enfance me faisait rêver, j’aurais adoré faire mes devoirs dans un bureau comme ça.

Avant de partir sur une anticipation de la femme du futur (qui aura un ordinateur totalement incorporé), Andrée Ospina poursuit avec la charge mentale qui va avec ces tâches :

Je veux de l’information. Je veux tout comprendre, car en tant que femme je sens que je dois tout maîtriser. Mes poches sont cousues par l’industrie textile* mais mon sac à main déborde. Tout doit être à portée, tout doit être rangé, trousse à maquillage et à tampons, portefeuille, smartphone avec applis de planification. J’amasse et tout cela me sécurise, te sécurise. Car si ce n’est pas pour moi-même, ce que j’ai noté servira forcément à quelqu’un·e d’autre, il y aura bien un·e ami·e qui aura besoin de ce Labello, ou de la morve à essuyer avec un mouchoir fleuri. Au moins, j’aurais pensé à tout, j’aurais anticipé. [Andrée Ospina]

*On peut parler des poches dans le prêt-à-porter designé pour petits gabarits ? Tu sais, ces fringues étiquetées « femme », qui n’ont en effet jamais de poches, ou jamais assez grandes. Mais ça voudrait dire qu’il suffit de s’équiper au rayon « homme », as-tu envie de me dire… or je te défie de me trouver facilement un pantalon de chantier, avec protections, poches, zips, mousquetons et ceinture élastique en taille 36.

Donc on résume : les femmes et leur travail domestique sont les piliers invisibles et gratuits du capitalisme, et les secrétaires multifonctions de la vie domestique et sociale.

Charge mentale

Femme de chercheur : gouvernante et co-chercheuse (gratuite et invisibilisée, again)

On passe maintenant à un secteur un peu moins général que “la vie”. Avant de plonger dans l’art et la culture (ça vient), petit détour par le milieu scientifique, avec des exemples précis de femmes qui, dans l’ombre (🙄) des hommes, ont porté leur travail, voire même le leur ont soufflé — toujours gratuitement, toujours invisiblement.

Les femmes des “petits amis les plus provocateurs de l’histoire”

Le truc génial avec la recherche, c’est quand on tombe sur des trésors comme les BD de Liv Strömquist (3).

Ce sont de magnifiques objets, à la couverture colorée, au trait grossier mais lisible, aux titres méga romantiques… qui renferment la compilation et l’articulation de théories les plus complexes. Le tout raconté par des dessins monochromes assez austères et des textes à décéder de rire (jaune, ofc). Bref, de parfaits outils de vulgarisation.

Dans Les sentiments du prince Charles*, Liv Strömquist fait le portrait des “petits amis les plus provocateurs de l’histoire”, qui partagent leur vie avec des femmes à tout faire.

*Note drôle pendant que j’écris ceci : j’ai une pensée émue pour les moins de 20 ans qui, dans quelques années, ne sauront pas qui était ce “prince” Charles 🤭

Parmi les femmes à tout faire citées par Liv Strömquist, je retiens notamment :

1. Lenchen, la servante de Karl Marx :

Prôner que les travailleurs de tous les pays devraient se soulever contre leurs patrons n’empêchait pas Karl Marx de coucher avec sa bonne. (…) Les conditions de travail de la bonne (qui s’appelait Lenchen) étaient pour le moins déplorables. En plus d’être obligée de coucher avec Karl Marx pendant ses heures de travail, elle devait aussi s’occuper de sa femme alitée, Jenny Marx. [Liv Strömquist, ainsi que les deux citations suivantes]

2. Jenny Marx, la femme de Karl :

La vie de Jenny Marx n’était pas vraiment meilleure. Outre qu’elle ne reçut jamais de crédit pour sa contribution au marxisme (par exemple en étant coauteure du Manifeste du parti communiste), elle donnait naissance à des enfants qui mourraient les uns après les autres.

3. Ainsi que Mileva Maric, la première femme d’Albert Einstein :

En 1905, [Albert Einstein et Mileva Maric] publient ensemble trois articles qui révolutionneront la physique (…) [je t’épargne les sujets desdits articles]. Dans tous ses courriers de cette époque, Einstein fait référence à leur travail sur la théorie de la relativité comme “nos” recherches.
Puis ça a foiré et Einstein quitté Mileva pour sa cousine. Elle reste seule avec leurs deux enfants, le plus jeune souffrant de schizophrénie. (…)
Einstein ne mentionne jamais Mileva, pas plus qu’il n’admet qu’ils ont fait toutes les découvertes fondamentales ensemble.
À la place, Einstein se permet ce genre de discours : « Les femmes n’ont pas été créées pour la pensée abstraite. Marie Curie est l’exception qui confirme la règle
.* »

*NB : “L’exception qui confirme la règle”, c’est juste une manière de dire “malgré les preuves du contraire, laissez-moi garder mes certitudes que je vais valider à la seule force de mon biais de confirmation”.

Liv Strömquist cite énormément d’artistes aussi, mais je te les garde pour plus tard.

Le travail du care au quotidien

L’effet Matilda

On s’éloigne un peu du sujet, mais l’appropriation par des hommes d’un travail réalisé par des femmes n’est pas rare dans l’histoire de la recherche. Ça porte même un nom : l’effet Matilda. Je cite Sabrina Erin Gin et Mathilde, dont je surkiffe le cahier d’activités féministes qu’elles ont sorti en 2021, qui regorge d’infos super cool (4) :

Matilda Joslyn Gage est une militante féministe du XIXe siècle qui consacra sa vie à rétablir la place des travaux de femmes dans divers domaines (sciences, religion, politique…). Dans les années 1980, l’historienne Margaret Rossiter théorise la dévalorisation systématique des femmes et leurs travaux dans tous les domaines, notamment la science. Elle l’appelle l’effet Mathilda, en hommage au travail et à l’engagement de Mathilda Joslyn Gage. [Mathilde et Sabrina Erin Gin]

Quelques exemples tirés de cette même publication :

  • Rosalind Franklin, découvreuse de la structure de l’ADN, qu’on attribue à James Dewey Watson et Francis Crick
  • Ada Lovelace, autrice du premier programme informatique, attribué à Charles Babbage
  • Alice Ball a mis au point le traitement contre la lèpre mais c’est Arthur L. Dean qui en récup les lauriers
  • etc.

Mémo perso : quand ils ne se contentent pas de vivre à leurs dépens, logistiquement et sexuellement, les hommes piquent aussi le taf scientifique des femmes.

l'effet Matilda

Les femmes et le travail reproductif en contexte militant

La référence suivante, je l’ai rencontrée grâce à une consœur militante (si tu passes par là, salut!) : “Lutter en féministe dans les mouvements sociaux. De la riposte à l’élaboration d’une stratégie” (5).

C’est une réflexion menée par un groupe de personnes sexisées (donc : non-hommes cis), à partir de leur expérience au sein d’un groupe militant. Les auteur·rices font des constats de situations de sexisme organisé (au sens de systémique), et comme le titre l’indique, proposent actions et attitudes à développer pour limiter les effets de la domination patriarcale.

Ce texte est très long, il aborde plein de sujets, je pense que j’ai mis plusieurs semaines à en venir à bout.

Et diable.

La grosse claque.

Cela concerne un certain contexte — celui d’une mobilisation syndicale étudiante, qui s’étend à un secteur pro rassemblant des organisations publiques et privées — mais la réflexion peut s’appliquer à énormément de situations.

Ce que j’en retiens ici n’est qu’une partie de la réflexion que les auteur·rices mènent dans l’article. Accroche-toi à ton cerveau, je fais de mon mieux pour en restituer à la fois la précision et la saveur pédagogique, en 5 points. Les citations suivantes sont toutes issues de cet article.

Pour t’aider à rester concentré·e, j’ai masqué le détail des éléments de ces 5 points, mais tu peux y avoir accès en cliquant sur les petits boutons adéquats ▶️

1. D’abord, des constats illustrent et détaillent le rôle invisible et essentiel des femmes dans les fonctions supports de la lutte syndicale

Au sein du comité de mobilisation les femmes assuraient la majeure partie de la logistique des réunions et des assemblées générales (AG) : la prise de compte-rendus (CR) et leur relecture, l’organisation des tours de parole, la gestion du temps, l’organisation de l’agenda, la diffusion et le rappel des informations sur les réseaux sociaux en interne comme en externe, la modération sur les boucles de diffusion… En somme, nous assurions l’essentiel des tâches qui permettent à une mobilisation de s’organiser, de s’ancrer dans la durée, mais aussi de s’élargir.

Les hommes aussi réalisent ces tâches, mais quand ils s’y collent, ils le font mal, ou sortent de leur rôle de support pour donner leur avis personnel (je résume).

Une autre tâche, très souvent laissée à l’initiative des militantes, était l’organisation de bilans des actions. Il s’agit pourtant d’un outil important d’organisation. Les bilans sont des moments de confrontation et de partage des expériences, d’analyses des échecs et des réussites et constituent un moment clef pour réévaluer les objectifs et la tactique. Ce sont également des moments importants pour partager l’information et répondre aux problèmes de rétention de l’information (que nous développerons plus loin). Les bilans permettent de collectiviser un travail effectué parfois plus spécifiquement par certainEs militantEs. La réticence des hommes à participer à ce genre de réunion semble caractéristique d’une course à l’accumulation d’actions, au détriment de l’ancrage de la mobilisation dans la durée. De même, nos camarades semblent peu enclins à revenir sur les échecs. Selon nous, ce temps de réflexion et d’analyse permet au contraire de solidifier un mouvement collectif et aussi d’apprendre à identifier collectivement les dangers. L’absence fréquente des hommes à ce genre de discussions favorise la reproduction d’erreurs qui mettent le groupe en danger.

Le travail relationnel comprend la capacité d’exprimer clairement ses émotions, de les contrôler, d’écouter, de prendre en compte celles des autres, notamment pour les apaiser. Il est socialement assigné aux femmes qui sont responsables de maintenir l’entente et le dialogue dans toutes sortes de groupes. Il permet d’élargir les groupes militants par l’accueil des nouveaux et nouvelles, et crée un sentiment de cohésion entre les membres. L’action militante nous expose qui plus est à un ensemble de violences (institutionnelles, policières, …) et le travail de réparation, de soin, d’écoute est dans ce cadre particulièrement important. Négocier cette bonne entente s’effectue parfois pour les femmes au détriment de leurs propres émotions.

Un double standard organise les possibilités ou non d’expression des sentiments. Typiquement, la colère devient de l’agressivité lorsqu’une femme se permet de la faire ressortir. Les hommes, eux, s’octroient le droit de se mettre en colère notamment dans des situations caractérisées par un fort niveau de stress, ou en public (réunions, AG…), alors que ces moments sont vécus en collectif. Par conséquent, alors même que plusieurs personnes ressentiront de la colère et/ou du stress dans ces situations, les hommes s’autoriseront davantage à lui laisser libre cours.

Un grand câlin au cœur

2. Côtés hommes cis, pendant ce temps, ça fait le plein de capital politique et militant :

La division des rôles telle qu’elle s’est mise en place dans les actions en lien avec le secteur de la propreté permet d’illustrer la rentabilité politique différentielle de certaines activités. Lors des tractages ou des blocages très matinaux, les femmes s’occupaient d’amener du matériel et de veiller à limiter l’inconfort des membres pendant l’action. (…) Ensuite, les femmes s’occupaient souvent du premier travail de conversation avec les travailleurs du site : saluer, inciter à arrêter les camions et baisser les vitres, entreprendre de commencer une discussion, mettre en confiance, faire la conversation autour d’un café, autant d’éléments nécessaires pour la construction d’un échange. Assurer une atmosphère chaleureuse sur les lieux d’action nous incombait. Les hommes se préoccupaient peu de ce travail relationnel. Pour autant, les conversations où les informations politiques importantes circulaient, et où s’élaborait une partie de la tactique entre les deux groupes se tenaient en aparté et principalement entre hommes. (…) Des garages, les femmes repartaient les mains vides, leur travail ayant été approprié pour permettre la construction du mouvement. Le rapport de confiance qui s’est établi entre hommes, s’il a permis à notre mobilisation de devenir interprofessionnelle, s’est constitué via un quasi entre-soi masculin, au moins jusqu’à ce que nous nous organisions en mixité choisie. (…) Pour intégrer le terrain de la prise des décisions stratégiques, nous avons donc dû fournir un travail supplémentaire pour organiser et animer ces réunions. L’appropriation du travail exécutif, relationnel et logistique des femmes par les hommes leur permet de se concentrer exclusivement sur le travail désigné comme proprement politique (stratégies et orientation générale, contacts syndicaux et interpro etc.), qui est dans les organisations militantes, le plus valorisé.

Au cours de notre mobilisation, la fructification et l’entretien de leur capital militant par les hommes s’effectuaient par différents biais, à commencer par la rétention d’informations, et la monopolisation des contacts stratégiques décrite plus haut.

Le genre intervient dans la transformation du capital militant en capital politique, c’est-à-dire qu’à compétences et carrières militantes similaires, les hommes sont plus souvent perçus comme des personnalités charismatiques que les femmes.

un certain culte de la personnalité​

3. Pause tactique

Arrivée à cette partie du texte (environ 70% de l’article complet), j’avais déjà bien mal à l’âme.

C’est le moment où les auteur·rices partagent quelques tactiques de riposte, pour que le travail politique profite aussi aux meufs. En deux mots : se soutenir entre personnes minorisées, se donner la parole et amplifier celle des copain·es, et surtout faire circuler l’info.

C’est peut-être sur ce dernier point que l’article est le plus pertinent.

Je veux dire, on le sait que les meufs font un taf de secrétaire, de psy, d’animatrice et d’intendante, pendant que les mecs se donnent en spectacle sur les actions les plus photogéniques.

Ce qui est plus sournois, c’est la manière dont l’existence de couples hétérosexuels court-circuite la diffusion de l’info et la prise de décisions. Par définition, les relations hétéros lient individuellement des hommes avec des femmes, soit dans notre cas des groupes au pouvoir asymétrique. Entre elleux s’instaure un régime particulier de communication des infos et des prises de décision qui impactent le groupe auquel appartient le couple (j’en parlais ici). Voilà pourquoi l’intime est politique.

4. “Hiérarchisation des militantes selon une logique (hétéro)affinitaire”

Lorsqu’il s’agit de revenir à la dernière minute sur des décisions et/ou actions élaborées collectivement, cette impulsion est souvent le fait d’hommes qui s’en montrent moins respectueux et sont plus confiants envers leur avis personnel. Ainsi lorsqu’un/des homme(s) décide(nt) de revenir sur un choix, ils peuvent, pour assurer un minimum de légitimité à leur initiative individuelle, consulter des camarades femmes. Auquel cas ils se tourneront souvent voire exclusivement vers celles qui sont proches d’eux : selon une logique affinitaire (flirts, relations amicales) ou géographique (celles présentes sur le moment). (…) Ainsi, les militantes qui ne font pas ou font moins l’effort de créer des liens d’affinité avec leurs camarades hommes sont moins souvent consultées, et plus souvent exclues des boucles décisionnaires de dernière minute. Leur poids politique en est donc amoindri.

Cela renvoie aux réflexions de Silvia Federici sur l’évolution de la place des femmes dans le capitalisme : la répartition genrée du travail, entre espace domestique — “privé” — et espace public, divise les femmes et unit les hommes (6).

5. Et on découvre comment le soutien que les femmes procurent aux hommes dans leur vie “privée” amplifie le “capital politique des hommes”

Sous l’hétérosexisme, le capital politique supérieur des hommes a pour effet de les rendre désirables. Depuis cette position de pouvoir, les hommes ont pu initier plusieurs relations de flirts avec plusieurs militantes. De ces situations, ils retirent principalement deux bénéfices dans la mobilisation : un appui politique (sous forme d’attention et de validation) lors des réunions et prises de décisions, et un soutien matériel et logistique qui leur permet de réaliser plus de tâches et/ou de paraître plus efficaces dans l’exécution de ces dernières.

On prend son élan et on résume :

en milieu militant, les femmes sont les secrétaires et coordinatrices logistiques des hommes + elles sont divisées entre elles selon leur proximité (intime ou non) avec eux. Dans tous les cas, les hommes occupent le devant de la scène et raflent les lauriers grâce au travail invisible des femmes, qui leur libère du temps comme jaja.

Le couple hétéro, court-circuit dans la circulation de l'info

Les femmes dans l’art

Tu es encore là ?

Après ce gros détour dans le milieu militant, je reviens à nos amours : la culture 💕

Les sources que je vais partager dans cette section montrent toutes, sous un angle ou un autre, des femmes qui bossent dur, dans l’ombre, sur des trucs pas glorieux et dévalorisés, et qui permettent de soutenir le travail des hommes de manière plus directe qu’on pourrait le penser.

Dans le spectacle vivant : la “domesticité” des postes administratifs

Je t’en parlais en début de post, Laurie Hagimont a conduit une réflexion originale sur le rôle et le statut des chargées de diffusion dans le spectacle vivant, objet de son mémoire La domesticité des emplois administratifs dans le spectacle vivant : le cas des chargées de diffusion (7).

Voici les deux points que j’en retiens.

1. La domesticité de ces postes

L’autrice a étudié les offres d’emploi et interviewé une vingtaine de chargées de diffusion. Elles travaillent pour une ou plusieurs compagnies et, au minimum, ont la responsabilité de la vente des spectacles.

Le vocabulaire employé est clair : ces femmes se décrivent comme un “calendrier vivant” auprès de leurs collègues, décrivent “moult petites missions concernant la vie [je souligne] d’une association”, évoquent la communication et l’administration comme des responsabilités récurrentes, nécessitant des qualités relationnelles et organisationnelles.

Tout cela rappelle fortement Secrétaires mes sœurs (2), non ?

La domesticité de ces fonctions, soit la continuité entre ces tâches et le travail domestique, vient du fait qu’elles sont très variées, impliquent une charge mentale énorme, ne demandent guère de créativité artistique, et sont très mal valorisées.

2. L'invisibilisation organisée de ces métiers

Bien sûr, ce serait trop beau d’avoir une reconnaissance symbolique et matérielle à la hauteur des difficultés du métier. Les chargées de diffusion subissent un double obstacle à cela.

Non seulement leur travail est particulièrement invisible puisqu’il sert à visibiliser le travail des autres : celui des artistes.

Mais en plus, le secteur du spectacle vivant — comme tous les secteurs artistiques — est en effet un secteur de stars. Du coup, qu’il s’agisse de dénoncer les inégalités de genre, ou de mettre en place des actions pour lutter contre, on s’occupe en priorité et en exclusivité des pros les plus visibles : les artistes et les directrices de compagnie.

La réponse à la question “où sont les femmes”, “toujours pas là”, est problématique car elle constitue un effacement pur et simple de toute une partie des professionnelles du spectacle vivant. Elles sont là, mais on ne les voit pas. (…) En dix ans, personne ne semble s’être penché sur les conséquences des inégalités et de la division sexuée du travail pour les femmes du “bas de l’échelle”. [Laurie Hagimont]

On respire un grand coup et on résume : les chargées de diffusion dans le spectacle vivant, en grande majorité des femmes, sont des assistantes de direction multifonctions, aussi indispensables qu’invisibles. Les actions de lutte contre les inégalités de genre dans la culture n’y peuvent rien, voire les aggravent en se concentrant sur d’autres pros, plus visibles.

la domesticité des emplois administratifs

Côtés arts visuels, la médiation

Donc là on a bien compris qu’en tant que groupe social, les femmes occupent des fonctions d’assistantes polyvalentes, qui permettent à leurs collègues et/ou proches hommes de se consacrer à des missions valorisantes, visibles, rentables sur tous les plans : gagner du fric, diriger le monde, signer des œuvres et des traités politiques, être populaire.

Le zoom que Laurie Hagimont fait sur les fonctions supports du spectacle vivant montre que la répartition genrée du travail en général se retrouve à l’échelle d’une compagnie de théâtre.

Dans les arts visuels, à ma connaissance, on n’a pas de recherche comparable — ne serait-ce que parce que le métier de chargée de diffusion n’a guère d’équivalent en lui-même. Cela dit, les caractéristiques “annexes” du métier se retrouvent dans les fonctions supports des arts visuels : la coordination, la production, l’administration, et bien sûr la médiation culturelle. Soit des fonctions remplies par des femmes en grande majorité.

À défaut de chiffres concernant l’ensemble de ces fonctions, j’ai trouvé des infos sur la répartition genrée des professionnel·les de la médiation culturelle non seulement à ce jour, mais aussi dans l’histoire de cette fonction.

1. Les pros de la médiation culturelle, aujourd’hui : des femmes, des femmes et encore des femmes

Les réseaux de pros sont de fameuses sources d’info :

  • Le Laboratoire des médiations en art contemporain Occitanie, réseau régional de pros en médiation, regroupe parmi ses membres 45 femmes, 2 hommes et 2 personnes au prénom non genré (8).
  • Le collectif WOW, qui lui rassemble des indépendant·es œuvrant dans la médiation culturelle toutes disciplines confondues, indique être composé majoritairement de femmes, et en a même fait l’un des axes de son action (9).
  • Côté Bla!, le réseau national des pros de la médiation en art contemporain, les stats sont assez claires : 92% de leurs membres sont des femmes (10).

2. Historiquement, la fonction même de médiation, d’accompagnement des visiteur·ses dans les musées, a été pensée pour occuper les femmes diplômées

L’article d’Aurélie Peyrin “Démocratiser les musées : une profession intellectuelle au féminin” (11) éclaire la création du métier de conférencier·e au Louve. C’était un moyen facile d’écarter les femmes des postes de conservation, monopolisés par les hommes au début du XXe siècle :

L’accompagnement est une profession féminine « savante » depuis le début du XXe siècle ; une profession savante mais considérée comme un travail d’appoint, d’une part, et inféodée aux conservateurs (qui étaient alors en majorité des hommes), d’autre part. Si l’accompagnement des visiteurs dans les musées fut la première profession muséale à accueillir les pionnières de l’École du Louvre dans les années 1900, il fut aussi une voie de relégation féminine, loin des prétentions scientifiques qu’elles exprimaient ; une relégation dans un travail présentant des caractéristiques typiques des métiers et emplois dits féminins : compétences naturalisées et donc non reconnues, emplois instables et intermittents, profession socialement peu valorisée. [Aurélie Peyrin]

La suite de l’article montre notamment comment la structuration de ce métier a été lente et laborieuse, du fait de la proximité des compétences pros de conférencière avec des “qualités” dites féminines.

Plusieurs décennies plus tard, rien n’avait changé : un type aussi brillant et puissant que Pontus Hulten, le tout premier directeur du Centre Pompidou, préconisait de proposer à des mères de famille de s’occuper de l’accueil des visiteurs.

Pour un boulot qui n’en est pas vraiment un, qui cumule bas salaire + horaires élastiques + compétences relationnelles, rien de tel qu’une femme naturellement chaleureuse et dont le mari gagne déjà l’argent du ménage. (12)

Mémo rapido : parmi les diverses fonctions peu valorisées autour des arts visuels, l’accompagnement des publics est une fonction typiquement féminine, du point de vue socio du travail – temps partiel, bas salaire, compétences naturalisées comme féminines (écoute et attention aux autres), bref une activité vue comme “d’appoint”, pas vraiment un métier, pas besoin d’un vrai salaire, etc.

Conférencière, une fonction inventée pour occuper les femmes

Les apports de l’histoire de l’art sur le rôle des épouses d’artistes

Maintenant qu’on a l’image globale, zoomons encore jusqu’aux foyers d’artistes célèbres. Pour un certain nombre d’entre eux, la réalisation du travail de reproduction par une épouse, une conjointe ou (on l’a vu) une servante, soutient leur création artistique, sa diffusion voire sa postérité.

Je rappelle que “reproduction” ici ne signifie pas seulement reproduire des êtres humains, c’est aussi entretenir et même développer la force de travail.

Nadia Khodossievitch-Léger, compagne puis épouse de Fernand Léger

France TV a diffusé au printemps 2021 une série de 4 documentaires sur des “grands” hommes et leur femme indispensable. Je me rappelle fort bien de l’un d’entre eux : Nadia et Fernand Léger, la face cachée d’un Maître, réalisé par Catherine Aventurier et co-écrit avec Aurélia Rouvier (13).

J’en ai fait une story à l’époque. Clique sur les flèches pour faire défiler les slides à ton rythme (prends ton temps, il y en a 73).

Je te résume l’histoire, ça me fait plaisir.

Nadia Khodossievitch, russe, apprend la peinture en Russie et découvre l’œuvre de Fernand Léger dans un magazine. Elle va le rencontrer et intègre son atelier à Paris. Iels deviennent amant·es. Iels ont chacun·e une pratique active et reconnue de la peinture.

Puis à un moment, Fernand ce gros flemmard nomme Nadia cheffe de son atelier, qui accueille masse de jeunes artistes en formation, imagine la logistique. Du coup, Nadia arrête de bosser ses propres toiles.

Arrive la Seconde guerre mondiale, pendant laquelle Fernand s’enfuit aux États-Unis découvrir la ville moderne, pétée de lumières et de machines qui le fascinent. Pendant ce temps, Nadia galère avec l’Occupation, utilise l’atelier de Fernand pour militer avec le Parti communiste contre l’occupant, bref elle taffe en diable.

Quand Fernand rentre à Paris, il est pas super accueilli dans le monde de l’art. Heureusement, Nadia tire toutes les ficelles qu’elle peut pour réhabiliter son fuyard de mec.

À un moment, Fernand se voit vieillir et épouse Nadia. Puis il finit par mourir et là, Nadia lui assure une postérité inespérée : en lui organisant une sépulture démentielle, puis en léguant un grand nombre de ses œuvres à des collections publiques et en ouvrant, excuse du peu, non pas un mais DEUX musées monographiques du type.

Cette histoire de meuf qui s’occupe de son artiste de mari n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.

Joséphine Hopper, épouse d'Edward

C’est en cherchant le travail de Catherine Aventurier que je suis tombée sur son documentaire Edward et Jo Hopper, un si violent silence, co-écrit avec Alexia Gaillard. Je ne l’ai pas (encore) vu mais Le Monde résume ainsi le film, réalisé à partir de la découverte du journal de Jo Hopper, couvrant les années 1933 à 1956 (14) :

C’est d’abord la chronique de la carrière de Hopper, à laquelle elle contribua en aidant son mari, timide, solitaire et taiseux, dans ses rapports avec le monde professionnel de l’art. [Renaud Machart]

Simone Kahn, compagne d'André Breton

Un merci en très grand à Instagram qui m’a permis de croiser la route de Abel Delattre, dont les recherches portent, notamment, sur les épouses d’hommes artistes, souvent elles-mêmes artistes. Il introduit ainsi son carnet Hypothèses (15) :

Alors qu’en 1866, Alphonse Daudet se demandait si l’artiste devait se marier ou non, ce carnet s’interroge sur le statut de la femme d’artiste. Qui est-elle, pourquoi fait-elle cela, quelle est sa place au sein du couple ? Ses casquettes sont nombreuses : modèle, mère, bonne, femme au foyer, artiste, secrétaire, ambassadrice, critique, écrivaine, conservatrice, veuve. Pour ce qui est des motivations de ses activités, elle a été accusée à tort de le faire pour l’argent et a trop souvent été dépeinte comme une profiteuse. En revanche, sa place est claire : elle se tient toujours à l’ombre de son époux l’artiste. [Abel Delattre]

À l’occasion d’une expo sur le surréalisme, Abel Delattre souligne le double rôle que Simone Kahn, épouse d’André Breton, a joué dans les archives du mouvement. (16)

Là encore, l’info est résumée mais tu peux lire le détail des items en cliquant sur les ▶️

Un cas de figure sur lequel j’aimerais m’attarder est celui de Simone Kahn (aussi connue sous les noms de Breton et de Collinet). Dans l’exposition de la BNF, quelques lettres que Breton (son premier époux) lui a adressées sont présentées. Si nous prêtons attention, nous pouvons voir son nom furtivement mentionné dans quelques cartels ou sur quelques documents. Mais nous l’apercevons mieux sur un pan de mur où une photographie a été affichée en grand. Cette dernière représente une séance de rêve éveillé. Nous voyons Robert Desnos assis par terre, en train de raconter son rêve, ses amis penchés au-dessus de lui ; Simone Kahn est au centre de la composition, juste au-dessus du poète, assise à une table et une machine à écrire devant elle.
Dans l’introduction de son édition des lettres de Simone Breton à Denise Lévy, Mme Georgiana Clovile propose l’analyse suivante de cette photographie :
“Seule femme du groupe, entourée d’hommes, […] Simone apparaît à la fois en tant qu’objet de désir et que détentrice du regard collectif, donc à égalité avec ses compagnons. Elle seule possède le pouvoir d’enregistrer la séance à la machine, tout en étant par ce fait réduite à un rôle de dactylo au service des écrivains du groupe. Bref, sur cette photo on peut voir la jeune épouse de Breton soit comme une reine, soit comme une subordonnée, ou plutôt dans une situation antinomique qui combine les deux.” [Georgiana Clovile citée par Abel Delattre]

Invisibilisée, Simone Kahn l’a également été au sein de son couple avec André Breton.

S’il fallait encore te convaincre que le personnel est politique, en voici une nouvelle manifestation. Les lettres et les échanges les plus intimes sont aujourd’hui des sources très précieuses en histoire, mais elles ne sont pas conservées et considérées avec le même zèle s’il s’agit de lettres concernant (ou écrites par) un homme ou une femme.

(…) il est facile de mettre la main sur les correspondances d’André Breton, que ce soit dans les archives (physiques et virtuelles) ou sur les publications. (…) Mais il y a une grande absence : les lettres de Kahn à Breton. (…) Où sont ces lettres ? (…) Simple égarement ou perte volontaire ? J’émets la théorie que, pour des raisons personnelles, Breton a lui-même « effacé » les lettres de son épouse. (…) Ainsi nous avons la preuve que Breton, à la suite d’une rupture, s’est déjà débarrassé de lettres de proches. Peut-être cela fut-il le cas pour les lettres de Kahn : après leur rupture en 1929, il se serait débarrassé des lettres, cartes, télégrammes et autres documents qu’elle lui a envoyé depuis le début de leur relation ; il aurait effacé toutes traces d’elle dans ses archives personnelles, l’aurait réduite au silence. Au contraire, Kahn, elle, a conservé ses lettres. (…) Grâce à Kahn, Breton l’homme nous survit. Il ne peut pas en être dit autant dans l’autre sens. [Abel Delattre]

Accessoirement, Simone Kahn passait pour le deuxième cerveau de son mari.

(…) En l’absence de telles archives directes, nous devons nous contenter de (…) témoignages de proches, dont celui de Youki Desnos : “[…] Ce qu’il y avait de surprenant, c’est le rôle muet que tenaient les femmes. Aucune d’elles n’ouvrait la bouche, sauf Simone Breton lorsque son mari, se tournant vers elle, la questionnait. Car elle était une petite encyclopédie vivante. Je crois que, de tout le groupe, elle était la seule à avoir lu Le Capital de Karl Marx en entier.” [Youki Desnons citée par Abel Delattre]

Man Ray, une séance de rêve éveillé
Une séance de rêve éveillé au bureau de recherches surréalistes, photo de Man Ray, vers 1924. De gauche à droite : Max Morise, Roger Vitrac, Jacques-André Boiffard, Paul Eluard, André Breton, Pierre Naville, Philippe Soupault, Giorgio De Chirico, Jacques Baron, Robert Desnos. Au centre : Simone Breton.

Nina Kandinsky, épouse de Wassily

C’est encore Abel Delattre qui parle de Nina Kandinsky, en ces termes (17) :

De récentes études sur la réception posthume de l’œuvre de Vassily Kandinsky ont montré le rôle important qu’y tint son épouse, Nina Kandinsky.

Je ne vais pas rapporter la totalité de l’article, très riche, seulement cette dernière citation de Nina Kandinsky, qui met le doigt sur la lourdeur logistique et émotionnelle de cette responsabilité historique et artistique :

« La veuve d’un artiste a une lourde responsabilité à porter – en particulier si son époux a connu la gloire et la célébrité. Elle est la gardienne et l’administrateur du patrimoine artistique. Il faut à une femme, me semble-t-il, beaucoup de force et courage, une grande confiance en soi, beaucoup de force et une persévérance à toute épreuve pour défendre le patrimoine de son mari dans le monde et dans le commerce de l’art. Elle doit parfois choisir la solitude pour échapper à un public hypocrite et à des calculateurs en veine de flatteries. Et ce faisant, elle tombe souvent en disgrâce – auprès de ceux qui voient leurs intérêts négligés. Il en résulte des rumeurs, des tissus de mensonges et des campagnes de calomnies. Il suffit à la veuve d’un artiste de s’occuper sérieusement de l’œuvre de son mari pour tomber dans le feu croisé de la critique. » [Nina Kandinsky citée par Abel Delattre]

"Les veuves"

Speaking of veuves, l’historienne Julie Verlaine en a carrément fait un “type” si je peux me permettre, dans l’article Parler d’un homme, exister comme femme. Les veuves d’artistes : témoins, « muses », expertes (18).

À partir de sources variées mais directes (des paroles et des écrits de ces femmes), l’autrice fait le portrait de quatre veuves célèbres d’artistes célèbres : Sonia Delaunay, Nina Kandinsky, Jeanne Kosnick-Kloss et Nelly van Doesburg, veuves respectivement des peintres abstraits Robert Delaunay, Vassily Kandinsky, Otto Freundlich et Theo van Doesburg.

Je retiens trois éléments parmi les traits communs relevés par l’autrice. (les citations suivantes sont toutes de l’autrice, et tu as encore le choix de plier ou déplier les titres avec les ▶️)

Elles remplissent des livres de ménage, des registres de compte et des listes d’œuvres, et sont souvent chargées d’une grande partie de la correspondance professionnelle de leur compagnon : autant de tâches qui constituent un travail d’assistanat et de secrétariat que toutes faisaient du vivant de leur conjoint. (…) Elles rappellent à ceux qui leur donnent la parole qu’elles ont déchargé leur mari de tout souci matériel : en faisant en sorte que leurs journées puissent être consacrées entièrement à la peinture ou au repos, et en assument la totalité des tâches ménagères (repas, ménage, courses) comme l’expose Nina [Kandinski] qui en tire fierté ; ou bien en cherchant un emploi alimentaire destiné à faire survivre le couple ou la famille.

La visibilité médiatique des veuves s’explique exclusivement par l’absence des artistes. Elles remplissent un rôle fortement codifié, qu’elles maîtrisent d’ailleurs parfaitement : susciter, par l’évocation de souvenirs, une familiarité du public (lecteurs, auditeurs, téléspectateurs) avec le créateur.

Présentatrices de l’œuvre, car représentantes de l’artiste, les veuves ont parfois l’occasion de montrer leur connaissance profonde de l’œuvre. Leur discours tire d’ailleurs sa légitimité en premier lieu de leur grande familiarité avec celle-ci. Dans les pages d’un catalogue, devant un micro ou une caméra, elles commentent, analysent, et proposent leur interprétation de l’œuvre qui mêle, aux aspects intimes déjà évoqués, des éléments plus précis, plus objectifs, qui sont les jalons d’une histoire de l’art abstrait qui est en train de s’écrire.

En deux mots : en plus de s’occuper de leur vie matérielle et professionnelle de leur vivant, les épouses d’artistes illustres ont littéralement géré la notoriété de leur défunt mari, avec tous les dommages collatéraux que cela implique.

Les responsabilités

D’autres femmes de grands hommes du 20e siècle

Je termine ce tour du monde des épouses d’hommes illustres avec quatre exemples cités par Liv Strömquist dans Les sentiments du prince Charles (3).

1. Oona Chaplin, dernière épouse de Charlie

De 36 ans sa cadette, Oona Chaplin s’est occupée de son mari pendant ses 17 dernières années. Durant cette période, Charlie Chaplin a subi plusieurs AVC le rendant très “dépendant” (au sens de grabataire).

C’est aussi sur ces années qu’il reçoit la plupart de toutes les récompenses reçues dans sa vie : 2 de ses 3 Oscars, Légion d’honneur en France, Lion d’or à Venise, titre de commandeur au Royaume-Uni, étoile sur le Hollywood walk of fame et deux ou trois autres.

2. Mary Welsh Hemingway, épouse d’Ernest

Avec 10 ans de moins que son mari, elle a “soigné Ernest Hemingway, alcoolique, paranoïaque et obèse, pendant les 10 dernières années de sa vie”.

Période durant laquelle l’auteur publie au moins une dizaine de romans, nouvelles, recueils de poèmes et d’articles.

3. Nancy Reagan, épouse de Ronald

Ronald et Nancy sont toustes les deux acteurices quand ils se rencontrent, sur fond de chasse au communisme. Ils se marient, Ronald devient président (je résume hein), il lutte férocement contre l’assistanat politique dans son pays.

Puis, comme le dit Liv Strömquist :

Mais ensuite, Ronald Reagan a eu la maladie d’Alzheimer. Il a oublié tout ce à quoi il avait cru. Il est redevenu un bébé, quoi que très laid. Il ne pouvait même plus faire ses besoins seul. Il ne trouvait plus d’idées rusées pour encourager l’esprit d’entreprise. Il n’arrivait plus à placer de l’argent dans ses fonds. Il ne se ressaisissait plus pour retrousser ses manches et être l’artisan de son propre bonheur. Il en faisait plus que baver et bafouiller. Il ne connaissait plus son nom. Il ne savait plus qui il était. Mais il pouvait voir, assise à son chevet, son épouse, cette petite bobonne qui soufflait sur une cuiller de bouillon de poule chaud pour éviter qu’il ne se brûle la langue.

👆 ces trois exemples sont tirés du chapitre “Prix Bobonne MMX” [2010], et c’est Nancy Reagan qui emporte le premier prix.

4. Les nombreuses femmes et maîtresses de Pablo Picasso

Picasso remporte le premier prix du “Petit ami le plus provocateur de l’histoire”, que Liv Strömquist dépeint (🤭) dans le chapitre éponyme suscité.

La plume de l’autrice est trop savoureuse pour s’en priver :

Pour Picasso, concrétiser le rôle masculin le plus prévisible et le moins inspiré de l’histoire fut un projet de vie : à savoir celui d’un psychogénie fragile qui a “besoin” d’une femme de 50 ans sa cadette près de lui pour des prestations psychiques et physiques 24 heures sur 24.

On résume ou c’est bon ?

le soin, la bouffe, l'écoute et le sexe

Complémentarité des couples contemporains

Je n’ai pas fait exprès, il y a quelques années, quand j’ai commencé à remarquer que les couples hétéros composés d’un·e artiste + un·e pro de l’art contemporain relativement influent·e mais non artiste étaient souvent sur le même schéma : l’homme est artiste, la femme est commissaire d’expo / directrice de structure / critique d’art.

Je précise que s’agissant de personnes vivantes et que dans beaucoup de cas, je connais personnellement, je vais éviter de donner des noms 🙃 Sache juste que j’ai une dizaine d’exemples de ce type, et au maximum 3 dans la configuration inverse.

Être commissaire d’expo quand son mec est artiste ne transforme personne en secrétaire particulière de son conjoint. D’ailleurs, aucune de ces femmes ne réserve son activité à la valorisation de l’œuvre de son conjoint — tout comme aucun·e directeur·rice, critique ou commissaire ne réserve son activité à un·e seul·e artiste.

Toutefois, on retrouve le partage genré entre travail productif, visible, valorisé, et reproductif, de support — même si influent — plus facilement monnayable sur le marché de l’emploi.

Pourquoi ça ne bouge(ra) pas (de si tôt)

L’invisibilisation des petites mains dans les statistiques de genre dans l’art et la culture, ça dédouble la peine du sexisme, un peu.

C’est chiant

En soi, l’invisibilisation d’une frange non négligeable de ce qui soutient la création artistique est un problème. Et cela à l’échelle du couple, d’une famille, d’une compagnie de cirque, d’une équipe de centre d’art ou de la population mondiale vivant sous le régime capitaliste.

C’est pas près de changer

Comme le souligne Laurie Hagimont, lorsqu’on s’intéresse à la répartition des genre dans l’art et la culture, et qu’on ne regarde que la frange visible, ça bloque la perspective d’évolution. L’attention étant portée sur les zones de pouvoir et/ou de visibilité — les directions, les programmations —, le chiffre à dénoncer est “pas assez”. L’objectif à atteindre, lui, est donc 50% ou plus.

Résultat ? Sur un groupe de gentes, si l’objectif de 50% est atteint ou dépassé, on s’en réjouit avant même de faire attention à l’endroit où apparaît ce chiffre.

En l’occurrence, si on regarde ces chiffres de plus près, les endroits où le nombre de femmes atteint ou dépasse 50%, c’est en majorité :

  • dans les postes les moins puissants, au sein des postes de direction (genre : les femmes sont plus souvent n°2 des grands établissements publics)
  • dans les secteurs artistiques les moins financés par les politiques publiques (exemple : l’art contemporain)

De même, un rapport de 2016 dénonce la “lente” féminisation des professions culturelles, mais ne se concentre que sur les postes les plus visibles, sans prendre en compte l’hyper féminisation des postes d’administration polyvalente (19)

(Je ne compte plus les fois où un homme cis, tout fiérot, m’annonce qu’il travaille dans une équipe majoritairement féminine… j’ai un scoop : en soi, ça ne veut rien dire mec)

Encore deux remarques

Rattrapage perso

Sans faire exprès, je rattrape avec ce post un oubli de ma thèse, que j’ai soutenue en 2011. Elle portait sur les actions de médiation dans les structures d’art contemporain. Voici en quasi exclusivité un extrait du rapport de ma soutenance, où tu peux lire les remarques de la présidente du jury, célèbre sociologue de l’art contemporain.

Après avoir pointé quelques erreurs d’analyse de détail, N. Heinich regrette un certain nombre de naïvetés sociologiques, au premier rang desquelles l’absence de prise en compte de la question hiérarchique, pourtant fondamentale ici s’agissant d’une activité aussi dépréciée en actes qu’encouragée en paroles dans le monde culturel en général, et dans celui de l’art contemporain en particulier. Ainsi, le silence sur la question de l’extrême féminisation de cette activité est gênant, de même que la non prise en compte de la hiérarchisation interne des actions en fonction du type de public visé.

👆 not la chose la plus agréable à relire au détour d’une recherche pour un post de blog, je l’admets.

J’avais bien remarqué, hein, que j’interviewais surtout des femmes (d’ailleurs, si vous passez par ici… 👋).

Et j’avais souligné les inégalités hiérarchiques dans les différents membres d’une “équipe des publics” — hiérarchie manifeste dans des détails aussi diaboliques que le droit de se reposer les weekends ou d’avoir son bureau loin du regard du public.

Et bien sûr, le fait que les plus jeunes / moins payé·es / moins puissant·es hiérarchiquement s’occupaient souvent des écoles maternelles ne m’avait pas échappé. Je crois même que j’en parlais dans mon mémoire de master, mais c’est flou. En tout cas, chère Nathalie, c’est chose faite.

Un potit meme de @memediation pour fêter ça :

Ad vitam...

Tu crois que l’histoire des postes de conférencières créés pour les femmes diplômées de l’école du Louvre, c’est du passé ? J’ai croisé ce poste récemment sur Linkedin (de Clémence Brunot)…

Clémence Brunot

On récap

De l’échelle macroscopique du capitalisme mondial, à l’échelle microscopique d’un couple hétéro, en passant par le foyer domestique, les organisations militantes et les équipes des compagnies de théâtre, le schéma est très clair. Les femmes sont :

  • assistantes
  • coordinatrices
  • animatrice de relations
  • globalement multitâches
  • vitales
  • et invisibles

Voilà le schéma qui se dessinait dans ma tête, lorsque je prenais connaissance du mémoire de Laurie Hagimont et me perdais dans les connexions avec mes lectures plus ou moins récentes.

C’est un cercle vicieux : le fait que les fonctions de ces métiers soient associées à des qualités dites féminines alimente la présence des femmes à ces métiers (puisqu’elles s’y reconnaissent plus facilement), qui à son tour alimente le maintien de ces métiers en dessous du plafond de verre : sous payés, peu valorisés, mal structurés ou en cours de structuration débutante. À défaut, ces métiers valorisent les qualités humaines,  socialement plutôt féminines. Cela donne envie à d’autres personnes sexisées de s’y consacrer. Et ainsi de suite.

Je ne sais pas quoi penser de ce schéma : il paraît déterministe, un peu. Les femmes occupent cette place nulle depuis si longtemps, et dans tant de secteurs que pfff, c’est impossible d’espérer en venir à bout, non ?

Non.

Ça donne une possibilité d’action finalement assez variée : en quelque endroit du cercle qu’on intervienne, ça aura un impact sur l’ensemble du mécanisme.

Alors, que tu sois toi-même sexisé·e ou non (en d’autres termes : même si tu es un homme cis), si tout cela te navre au moins un peu, voilà ce que tu peux faire pour que ça change :

  • cherche la ou les femmes derrière l’homme célèbre, vivant ou mort
  • quand tu la vois, évite de la taire ou de l’oublier, fais-la exister en parlant d’elle
  • valorise les femmes encore vivantes autour de toi,
  • donne-leur de la voix, laisse-leur de la place (surtout si tu en as toi-même)
  • arrête de considérer par défaut que les femmes autour de toi sont là pour la logistique
  • arrête d’être dupe de l’hétérocapitalisme :
On ne dit pas "L'inventeur au travail et sa bonne", on dit "Deux personnes au travail"

Allez, courage !

Merci d’avoir lu jusqu’ici. Si tu en veux encore, vlà de la lecture 👇

Références citées

  1. Silvia Federici, Morgane Kuehni, Morgane Merteuil et Maud Simonet, Travail gratuit et grèves féministes, éditions entremonde, coll. A6, 2020, Genève-Paris, 118 p, résumé par exemple ici.

  2. Andrée Ospina, « Secrétaires mes sœurs, secrétaire ta mère », in Les Jaseuses, 03/05/2021, à lire en entier ici et à écouter en podcast sur Spotify (par exemple) ici. Vous pouvez suivre ici la bibliothèque lesBi·Bi·Queer itinérante d’Andrée Ospina sur son compte instagram.

  3. Liv Strömquist, Les Sentiments du prince Charles, édition Rackam, coll. Le Signe Noir, 2012, np (= “non paginé” mais la division en chapitres courts rend la lecture assez facile, même dans le désordre).

  4. Sabrina Erin Gin et Mathilde, L’audace change de camp. Petit cahier d’activités féministes, auto édité, octobre 2021. Cette divine publication est introuvable sur Internet mais vous pouvez contacter ses co-autrices via leurs comptes insta perso (ci-dessus), ainsi que @lesbaratin.eurs et @potiches.media, et le site de Sabrina Erin Gin. Wikipedia consacre une page à l’effet Matilda ici.

  5. Article collectif et anonyme : “Lutter en féministes dans les mouvements sociaux. De la riposte à l’élaboration d’une stratégie”, paru sur Contrepoint.eu en 2021, à lire en entier ici.

    Voici l’intro de cet article qui explique l’absence de signataires :

    Ce texte est issu d’un collectif en mixité choisie (femmes et personnes transmasculines) qui s’est formé à l’intérieur d’un comité de mobilisation mixte constitué dans le cadre du mouvement universitaire de soutien à la grève interprofessionnelle contre la réforme des retraites ayant duré de décembre 2019 à mars 2020. Il est le produit de nos expériences et réflexions autour des mobilisations et luttes menées au sein et en dehors de nos lieux d’études et de travail.
    Ce texte n’a pas été écrit par l’ensemble des membres du comité en mixité choisie, et il ne saurait représenter la diversité des positions et des points de vue.
    Il s’appuie néanmoins sur une mise au point antisexiste effectuée par le comité en mixité choisie auprès des hommes cis du comité mixte au début d’une réunion quelque temps avant le premier confinement (mars 2020), confinement qui a mis fin au mouvement social.

  6. Entretien avec Silvia Federici, septembre 2016 paru sur le site de l’Union communiste libertaire (dont j’ignore par ailleurs tout).

  7. Laurie Hagimont, La domesticité des emplois administratifs dans le spectacle vivant : le cas des chargées de diffusion, mémoire de diplôme interuniversitaire numérique “Études de genre”, université Rennes 2 / université de Bretagne Occidentale, 2021, 116 p, consultable sur sa page Linkedin.

  8. Laboratoire des médiations en art contemporain d’Occitanie (LMAC), membres du réseau, consultable sur leur site.

  9. Collectif WOW, Où sont les hommes ?, à lire sur leur site.

  10. BLA! Association nationale des professionnel·le·s de la médiation en art contemporain, enquête réalisée à l’été 2022, dont les résultat sont à paraître à l’automne 2022. Leur site est consultable ici.

  11. Aurélie Peyrin, « Démocratiser les musées : une profession intellectuelle au féminin », Travail, genre et sociétés, 2008/1 (Nº 19), p. 65-85, à consulter en entier ici.

  12. Centre Pompidou, trente ans d’histoire, dirigé par Bernadette Dufrêne, éditions du Centre Pompidou, 2007, article de… pfff, en vrai ? Je ne m’en rappelle plus et je n’ai pas le temps d’aller à la bibliothèque feuilleter ce bottin de 650 pages. Je le ferai avant fin 2022 et viendrai mettre à jour cette note.

  13. Nadia et Fernand Léger, la face cachée d’un Maître, 2018. Un film de Catherine Aventurier, co-écrit par Aurélia Rouvier, Production par Caroline Broussaud pour France TV studio, infos ici.

  14. Renaud Machart, « Edward et Jo Hopper, un si violent silence, la muse et souffre-douleur du peintre » (à propos du documentaire de Catherine Aventurier, co-écrit avec Alexia Gaillard), Le Monde, 17 octobre 2020, article à lire en entier ici.

  15. Abel Delattre, Introduction de son carnet Hypothèses à lire ici.

  16. Abel Delattre, “Des femmes et des archives : une réflexion – Exposition « L’Invention du Surréalisme : des Champs magnétiques à Nadja », du 19 mai au 14 août 2021”, à lire en entier ici.

  17. Abel Delattre, “L’Affaire du Cavalier Bleu (1960-1973): Nina Kandinsky VS Lothar-Günther Buchheim”, à lire en entier ici (lis tout son carnet Hypothèses, vraiment).

  18. Julie Verlaine, “Parler d’un homme, exister comme femme. Les veuves d’artistes : témoins, « muses », expertes”, dans Sociétés & Représentations 2018/2 (N° 46), pages 135 à 157, à lire en entier ici.

  19. Marie Gouyon, Frédérique Patureau, Gwendoline Volat, “La lente féminisation des professions culturelles”, Ministère de la Culture – DEPS | « Culture études », 2016/2 n° 2 | pages 1 à 20, à lire en entier ici.

Survivre au taf Marie Dasylva - espoir

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