Ma lecture du Manifeste pour une démocratie déviante, de Constant Spina
Dans ce manifeste vener et réconfortant, Constant Spina déploie les ressorts du fascisme sous sa forme contemporaine. En nous montrant ce qui fait sa triste force, iel explique aussi comment la pensée queer va sauver le monde. Rien de moins.
La puissance des flammes ou la douceur d’un plaid, je n’ai pas su choisir ce que m’inspire en premier le livre de Constant Spina : Manifeste pour une démocratie déviante. Amours queers face au fascisme, paru aux éditions Trouble en juin 2023.
Difficile de ne pas le relire en entier à chaque fois que je l’ouvre pour en chercher une citation. Mais par amour de la science et parce qu’on est sur internet, je me plie à l’exercice de te montrer la crème de la crème de ma lecture d’hiver.
Voici donc 9 citations tirées de cette lecture à la fois vener et réconfortante.
Note que l’édition utilise les typos Téméraire, Pinyon et Baskervvol, permettant des ligatures particulières pour marquer la pluralité des accords de genre. Je transcris ces accords en utilisant un point médian — ce qui me fait penser que j’arrive à la limite de cette pratique, mais c’est un autre sujet.
Poser les bases et dire les mots
Sur le fascisme (toutes les citations sont de Constant Spina) :
Le fascisme est la forme politique la plus aboutie du patriarcat. (…) Ses apparences sont changeantes et trompeuses, mais une chose le rend reconnaissable du premier coup : sa haine viscérale de la vie. Sa répugnance envers les déviant·es, qu’iels soient queers, migrant·es, vulnérables ou invisibles.
Et pourquoi la pensée queer sauvera le monde :
Là où le fascisme propose de trier les individus et estime que seulement certaines vies sont dignes d’être vécues, la pensée queer et féministe nous enseigne que toutes les vies comptent, que tous les corps sont importants.
Pourquoi c’est impossible de dialoguer avec la pensée fasciste
L’auteur·rice s’appuie sur les réflexions d’Anne Plaignaud sur le confusionnisme :
Les adeptes de cette rhétorique [celle des menaces proclamées telles que le “wokisme” ou l’”islamo-gauchisme”], tout comme les complotistes, ont une réponse à tout, précisément parce que le corpus de leurs idées est un brouillard très étendu assimilant des concepts de toutes origines.
Pour mieux comprendre le confusionnisme, c’est par ici.
Construction d’une utopie queer
Imaginez ce que serait notre monde si nos discussions, nos livres, nos silences, nos fêtes, nos corps, nos amours pouvaient prendre vie au sein de démocraties queers fondées sur le soin.
Lorsqu’on parle de “révolution du soin” on entend le soin comme une reconnaissance et une appréciation de notre vulnérabilité et de celle d’autrui au sein du système de la performance à outrance et du validisme. Il y a beaucoup plus de clairvoyance politique dans l’apprivoisement de la vulnérabilité que dans la démonstration de force.
Vaincre nos fascismes intérieurs
Tant que les individu·es voudront être des héros solitaires et que nous réclamerons l’existence de personnes providentielles au lieu de soutenir des organes communautaires (des médias, des associations, des clubs de sport…), nous n’arriverons pas à nous organiser et perpétuerons le principal héritage de la culture de l’extrême droite : le culte du ou de la cheffe et l’asservissement volontaire.
Une idée qui fait écho à ce texte de Jo Freeman sur l’action collective.
Une vision collective et vivante de l’écriture
La théorie de la révolution romantique est tombée dans les mains de la culture hétérosexuelle dominante précisément parce que j’ai mis 4 ans à construire cette vision, qui pourtant me semble encore incomplète et non exhaustive. D’une part, parce que d’autres personnes doivent s’en emparer pour la pousser à maturation. D’autre part, parce que je suis moi-même persuadé·e que je ne saisirai l’essence profonde de ce que j’écris qu’à la fin de mon existence. Il n’y a aucune ligne d’arrivée dans l’écriture, sinon des vagues de pensées qui, tôt ou tard, finissent par trouver un rythme et accoucher d’une musique constante.
Plein de choses dans cette seule citation :
- la théorie de révolution romantique, réappropriée dans le contexte hétéropatriarcal, a perdu beaucoup de sa force.
- L’écriture est un process lent, bien au-delà de la durée d’accouchement d’une publication.
- C’est le fait que d’autres personnes s’emparent (avec respect) des idées qui fait avancer la réflexion.
Donc citer ses sources est non seulement une marque de respect et d’honnêteté intellectuelle mais aussi une démarche politique de visibilisation de ce travail collectif.
Pourquoi le militantisme sur internet n'est pas suffisant
La lutte contre les régimes autoritaires ne peut pas se faire sans un solide ancrage. Je ne crois pas qu’il faille cesser d’utiliser les réseaux virtuels, mais qu’il serait souhaitable de collectiviser leur usage et de ne pas oublier que l’organisation d’une société passe toujours par la matérialité des corps et des ressources.
Faire la révolution avec des tisanes
Mon passage préféré !
La majorité des lieux queers (…) sont consacrés à la fête et au bruit. Ils sont rarement pensés pour les personnes timides, pour celles avec une anxiété sociale, pour les non valides, pour celles et ceux qui ne peuvent pas être exposé·es à des situations hypersexualisées, pour les gros·ses, pour celles et ceux qui dorment tôt, pour les parents, pour les enfants, pour les vieux et les vieilles.
(…) je rêve de créer une grande bibliothèque trans-pédé-gouin·e où on puisse parler, travailler ensemble, s’entraider, avoir des espaces où pratiquer la justice intracommunautaire, des moments où on pourrait garder les enfants des autres ou leurs animaux, boire des tisanes, pratiquer le troc d’aliments et d’autres produits. Apprendre des choses les un·es des autres par des ateliers de toutes sortes. Qu’il y ait un espace de méditation et que des thérapeutes et des médecins puissent faire des permanences gratuites, payées par la communauté.
Pour une justice autogérée et tournée vers la réparation
La justice transformative a de quoi nous inspirer, mais je suis convaincu·e que chaque groupe d’individus doit trouver ses propres outils qui correspondent à son vécu, tout en restant dans un esprit transformateur.
Je crois profondément au rôle des entourages et des proches, les seul·es qui peuvent aider à négocier et à responsabiliser un individu qui fait du mal à l’intérieur de la communauté.
La nécessité d’une spiritualité partagée
Grâce à son absence de limites et de définitions, le cœur queer est la chose sur Terre qui ressemble le plus à la forme de Dieu·e.
(…) sans la spiritualité et sa pratique collective, il me paraît compliqué de développer une unité de valeurs et une possibilité de guérison individuelle et communautaire.
En bref
Lis ce livre quand tu n’as plus foi en notre monde qui marche sur la tête. On y pleure, on y rage, on y rit aussi. Et au passage, on y comprend ce qui ne tourne pas rond et comment on peut s’en sortir.
Et essaie de prendre soin de toi, même si c’est l’injonction la plus récupérée par le capitalisme.